Takishidogin

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Un jour, KUSANAGI Ginji, 17 ans, manque de renverser en moto ASEBO Minako, à la poursuite de son chat. Le coup de foudre les frappe tous deux. Malheureusement, le jour-même de l’obtention de sa licence de boxeur professionnel et à la veille de son 1er rendez-vous avec la belle, Ginji trouve la mort dans un accident de circulation orchestré par un voyou. Néanmoins, la possibilité de réintégrer son corps humain existe. Avant cela, il doit se réincarner sous les traits d’un animal et s’acquitter d’une condition sine qua non : mourir de sa belle mort en tant que tel. Ainsi, il renaît dans la peau d’un pingouin ! Ayant conservé sa mémoire d’homme, Ginji parvient à s’échapper de l’aquarium et échoue, comme par hasard, chez Minako.

L’histoire

Dans sa précédente vie, Ginji était en 2e année au lycée municipal. Séparé de sa famille, il logeait dans un cabanon pourri à proximité de son club de boxe. De son propre aveu, il était alors un voyou et considèrait Minako comme une princesse de la haute-société. Il traînait souvent avec son meilleur ami KONDÔ Musashi. Lors du match de boxe qui officialisa son passage chez les professionnels, il mis K.O. en 25 secondes son adversaire du jour. Aujourd’hui, ce sportif dont l’avenir s’annonçait radieux encaisse très mal le fait d’être un vulgaire pingouin ! Sa nouvelle condition comporte bien des inconvénients comme par exemple : vivre auprès de sa douce sans pouvoir lui révéler la vérité ; la voir tourmenter par sa subite disparition ; éviter qu’il ne meure lacéré par les griffes du chat, ou encore qu’on lui prête une paternité et une liaison (avec un charmant pingouin femelle rose) dont il ignore tout… Pourtant, il trouve quand même quelques avantages dans son malheur, notamment pouvoir dormir dans le même lit que Minako, et se baigner chaque soir avec elle (n’est pas pingouin qui veut !). Au début, Ginji prend la décision de la protéger et de ne pas la quitter avant qu’elle ne trouve un nouvel amour. A ce moment-là, il s’en irait dans le Sud pour vivre sa vie de pingouin. Mais la période écoulée auprès de sa dulcinée va modifier cette bonne résolution.

Il apprend à la connaître à travers sa famille, ses amis, ce qui renforce ses sentiments. Ginji communique maladroitement avec elle par écrit, en découpant des lettres dans les journaux, ou en usant de son « pocket bell ». Tout bascule quand il apprend qu’un spécimen de son espèce vit plus de 20 ans ! N’oublions pas qu’il doit attendre une mort naturelle pour espérer redevenir humain. Démoralisé, il verse dans la délinquance. Heureusement, un ange lui fait entendre raison et lui rappelle sa promesse de veiller sur Minako. Pour résumer, Ginji représente l’archétype du voyou au coeur tendre, refusant d’admettre cette faiblesse mais qui, paradoxalement, défend “la veuve et l’orphelin” lorsqu’il sent l’injustice.

Très vite, Ginji se lie d’amitié avec un pingouin du Iriesuizokukan (aquarium de la baie), nommé Mike. Ce dernier est un érudit et se balade toujours avec son petit sac en bandoulière. Il aide Ginji à maintes reprises en prodiguant des conseils, qui souvent mettent son collègue dans de fâcheuses situations. C’est Mike qui soumet le plan d’évasion de l’aquarium, lui apprend à écrire, le rassure quand il perd ses plumes… Durant l’épisode où Minako est enlevée, Mike arrive à la rescousse avec une flopée de pingouins. Une fois, Ginji emmène Mike et ses congénères au parc d’attractions afin d’évacuer leur stress ! Le manga est parsemé de petites cases éducatives dans lesquelles le professeur Mike dispense son savoir sur les vrais pingouins (mode de vie, nourriture, habitudes, reproduction). En fin de volume, un nouveau commentaire tiré d’une encyclopédie le met en scène. Quand un responsable de l’aquarium souhaite monter un spectacle dangereux et terrorise les oiseaux, Mike vient quérir l’aide de Ginji. La simple apparition du “messie” incite les autres à réagir. Mike est alors admiratif face au charme caractérisant le leader. Dès lors, il essaiera de copier Ginji en s’affublant d’un look Zoku (voyou japonais, voir GTO) !

Minako, 16 ans et en 1ère année à l’institut de filles Shirakawa, est dévouée, sensible et ne peut oublier son prince Ginji. Chaque dimanche, elle va au parc, le sourire aux lèvres, dans l’espoir de le croiser à nouveau, et en revient systématiquement triste. Son père est veuf depuis 10 ans et gère un restaurant populaire. Comme les princesses des jeux vidéo, elle est victime de rapt ou d’intimidation qui soulignent l’élan protecteur de Ginji. Ce dernier use et abuse d’un uppercut vengeur et d’une technique particulièrement efficace : il raidit son aile et l’enfonce entre les fesses du maraud ! Mon bon monsieur, ça vous paralyse n’importe quel homme c’t’affaire là ! Au fil des chapitres, Minako croise les anciennes connaissances (bonnes ou mauvaises) de Ginji et découvre petit à petit l’homme qu’il était. Elle approche ainsi Shôsuke qui s’engage dans un dur combat en vue de maintenir ouvert la salle de sport dans laquelle il s’entraîne. Le coach dépérit car son établissement est déserté depuis la mort de Ginji. Shôsuke perd son match mais plein de filles prennent d’assaut le club pour voir le pingouin ! L’intuition féminine de Minako se révèle à son insu, alors qu’elle devient jalouse quand son pingouin domestique est en compagnie d’autres femmes. Mais lorsque ce même pingouin l’appelle sur son portable et pousse d’incompréhensibles cris d’oiseau, elle est heureuse… Comme quoi, le bonheur c’est simple comme un coup de fil. En fait, Minako évite de trop réfléchir sur la disparition de Ginji et se voile la vérité : inconsciemment, l’idée de sa mort est bannie. La chute est d’autant plus douloureuse quand elle surprend une conversation entre Musashi et le coach devant la moto de Ginji. Anéantie devant l’état misérable de l’engin, elle s’imagine enfin la violence du choc.
Citons également les divers intervenants, apportant quiproquos, obstacles et situations comiques. En premier lieu, il y a Musashi, ami fidèle de Ginji et un brin roublard. Membre du club de karaté et cousin de Minako, il est chagriné par l’attitude de celle-ci qui croit au retour de son compère. Vient ensuite Hikomaro, un fils de riche qui court derrière Minako après avoir commandé une enquête minutieuse sur la jeune fille et son entourage. Puis Kô, élève de primaire logeant chez Minako, qui représente son premier amour, est très ami avec Ginji dont il montre les talents devant toute la classe. Enfin, le balbuzard pêcheur, réincarnation d’une jeune fille morte 7 ans auparavant, et qui défend son nid contre des promoteurs immobiliers jusqu’à ce que son petit prenne son envol. En voyant le comportement égoïste de Ginji, qui éloigne tout nouveau prétendant de Minako, le volatile affirme qu’il n’a pas le droit de s’immiscer dans les affaires de coeur de la belle. Ce qui ne l’empêchera pas d’élire domicile sur le balcon de son ex-fiancé !

Le titre de MATSUURA-sensei expose de manière insolite la réincarnation d’un homme en un animal. Il faut savoir que le Chukushô (monde animal) est l’une des 6 voies permettant la réincarnation (Rokudô) dans la pensée bouddhique. De nos jours, le langage parler en a fait une injure fréquemment employée. Dans la cosmogonie bouddhique, les ROKUDÔ englobent les mondes des revenants, des animaux, des asura, des hommes, des dieux et du bouddha. Il est donc logique que l’ange qui apparaît à GINJI, juste après sa culbute en moto, ait des airs de bonze ailé. L’auteur s’appuie sur une théorie connue de tout bon Japonais et brode une histoire comico-sentimentalo-animalière.
Le manga recèle de scénarii mettant en scène des animaux. La plupart du temps, les bestioles sont destinées à émouvoir, à faire rire et sont propices au développement de produits dérivés ! D’autres évoluent dans des contextes adultes, voire glauques, et ont des attitudes dérangeantes, cruelles. Le récit d’animaux humanisés tire son origine des Chôjûgiga, 4 rouleaux où des bêtes s’exhibent à travers différentes situations propres aux hommes, le tout sur un ton humoristique et satirique. Ces emakimono bénéficient de la technique du hakubyô (lavis monochrome) et sont actuellement conservés dans un temple de Kyôto. L’oeil averti y reconnaîtra une dérision de la société de l’époque Heian (794-1195). Dessinés à l’encre de chine et vierges de texte, leur auteur présumé (on suppute qu’ils sont les résultats de plusieurs âmes éclairées) est TÔBA Sôjô (1053-1140, un religieux bouddhique de la secte du Tendai-shû). Détail amusant, l’animalier français Benjamin RABIER se serait inspiré du graphisme des Chôjûgiga pour développer son trait. La rumeur raconte aussi qu’il existerait un 5e rouleau. Le manga nous prouve encore que c’est dans les vieilles marmites que l’on fait la meilleure soupe ! Et ce n’est pas MUTSUURA-sensei, ni son éditeur qui contrediront l’adage. A n’importe quelle époque, les animaux ont fait l’objet de telles adaptations et cette formule garantit l’attention d’un lectorat toujours bien vivace.

Etant donné que l’atmosphère générale de Takishîdogin exhale de la bonne humeur, prenons-en le contre-pied et intéressons-nous aux rites funéraires traditionnels se déroulant au pays du soleil levant. Le manga et les anime matérialisent souvent l’esprit quittant le corps humain par une boule de feu bleuâtre nommée hitodama. Dans Takishîdogin, l’auteur s’éloigne de cette représentation et préfère montrer Ginji sous l’aspect d’un ange occidental. Au Japon, l’incinération est le mode de funérailles le plus courant. A l’origine, les Japonais enterraient leurs morts au cimetière, tandis qu’aujourd’hui la loi stipule une crémation (Kasô) obligatoire. Un permis est alors délivré par le maire, et les cendres sont soit enterrées dans un cimetière près d’un temple, soit conservées chez la famille. Néanmoins, une pratique récente consiste à disséminer les cendres dans la nature. Les vêtements de deuil (mofuku), de couleur noire, sont codifiés en cas du port d’habit traditionnel. Pour les hommes : une veste ample et courte (haori), un pantalon large (hakama), une soie noire (kurohabutae) et le fameux kimono arborant les 5 emblèmes de la famille (somenuki itsutsu montsuki). Les femmes endossent une tenue sans ornement, comportant kimono, haori, habutae et porte le kimono aux emblèmes familiaux uniquement dans la région du Kantô. Dans le bouddhisme, le roi des enfers Enma juge le défunt 7 fois, et tous les 7 jours. De ce fait, la cérémonie bouddhique se célèbre au 7e jour de la mort. Un religieux note le nom posthume du défunt sur une tablette disposée près de sa photographie. Durant la veillée funèbre (Tsuya), la famille et les proches passent la nuit entière à côté du corps, positionné la tête vers le nord. Ils boivent et mangent en discutant joyeusement, avec la stricte interdiction d’éteindre les cierges et les senkô (bâtonnets d’encens). Depuis 1925, on reçoit les condoléances la veille, en fin d’après midi, pendant 2h. Un banquet de remerciements durant lequel est offert un cadeau de reconnaissance suit la Tsuya. La cérémonie funèbre (kokubetsushiki) revêt un rôle important, car c’est à ce moment-là que les prières sont censées aider le défunt à entrer dans le paradis de Bouddha. Un bonze récite un sutra puis lance la formule permettant au défunt de se guider jusqu’au lieu sacré. Ensuite, les invités formulent leurs adieux.

En fin de cérémonie, le cercueil est ouvert, afin que ceux-ci disposent des chrysanthèmes autour du défunt. Il est de coutume que les invités remettent une enveloppe contenant de l’argent, dit le kôden (dans le passé, on remettait plutôt de l’encens, du riz et des aliments). La somme dépend de la relation qu’entretenait le donateur avec le défunt, ou de la position sociale de ce dernier. Généralement, la famille s’en sert pour régler les funérailles et après 49 jours de deuil, elle remercie le donateur en lui remettant un cadeau dont la valeur avoisine la moitié du kôden reçu. Le deuil terminé, elle distribue les affaires du mort (les supérieurs et les personnes plus âgées que le défunt ne reçoivent rien). Dans Maison Ikkoku, Kyôko (Juliette) rendra les précieux souvenirs de son mari au père de celui-ci. Plus tard, on continuera d’honorer la mémoire du mort en priant devant l’autel bouddhique (butsudan) présent au coeur du foyer. Y déposer de l’eau fraîche chaque matin, consolerait l’âme. Le higan (période de 7 jours au printemps et en automne) le obon (fête des morts célébrée les 13-15 juillet) et l’anniversaire de la mort déterminent les moments durant lesquels les japonais visitent les tombes. Les aficionados de Maison Ikkoku connaissent déjà les gestes : nettoyer la tombe, verser de l’eau dessus, déposer des fleurs et allumer les bâtonnets d’encens.
Les rites shintô sont quasi-similaires, mais le corps est enterré. Le prêtre exécute un cérémonial de purification face à l’autel, duquel pendent des cordes et des branches de sakaki, et de la musique traditionnelle accompagne les assistants qui font don de branches de sakaku décorées de bandes de papier blanc plié. Le mode de vie moderne bouscule les coutumes, surtout en ville, et donne lieu à des festivités aux allures de spectacle avec sons et lumières, agrémentées de vidéo savamment choisie, voire complètement décalée… Récemment, la tendance va à une cérémonie non religieuse.

Les connaisseurs reconnaîtront dans le graphisme de MATSUURA-sensei l’influence de EGAWA Tatsuya (Golden boy), dont l’auteur de Takishîdogin a été l’assistant. La chevelure de Minako et ses attitudes ne sont pas sans rappeler celles de Iona dans Talulu le magicien. Outre le titre chroniqué dans cette page, MATSUURA-sensei est coupable des titres Wake up ! et Rising sun, entre autres. Il a transbahuté son travail entre les pages du Young Sunday, du Shônen Sunday et du Big Comic, propriétés de l’éditeur Shôgakukan. Grand fan de Star Wars devant l’Eternel, il admire aussi MIZUNO Mike (Haruo), envers lequel le personnage du pingouin intellectuel MIKE symbolise un hommage non dissimulé.
Takishîdogin pourrait se traduire comme « Gin en smocking » en référence à la condition de pingouin de Ginji. L’animal qu’il interprète est d’ailleurs affectueusement surnommé Gin-chan par Minako. Les pingouins sont dessinés façon SD, afin de rendre au mieux leurs expressions et favoriser le comique de situation (voir un le héros se balader vêtu d’une chemise hawaïenne est assurément craquant !) tandis que le reste de la faune est plus ou moins réaliste. Le trait de l’auteur est agréable, sans être exceptionnel, et a l’avantage de se prêter à merveille aux péripéties. Une infime évolution graphique est détectable et l’épaisseur des chevelures (surtout celle de Minako) tend à diminuer au fur et mesure des planches. Les personnages humains ont la “gueule” légèrement cassée avec des repères faciaux pas toujours symétriques, ce qui peut rebuter le lecteur. Aucune fantaisie dans les décors, ordinaires et sobres. Le scénario est composé de petites histoires indépendantes ayant pour fil rouge l’idylle impossible de Minako et Ginji. Les ficelles ne sont point originales, mais ont le mérite d’avoir fait leurs preuves ailleurs.

Avis aux éditeurs, Takishîdogin est un titre commercial à souhait, empli d’humour, d’amour et d’adorables pingouins. Ca se lit vite, sans prise de tête. Un conseil : mettez un pingouin dans votre moteur !

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