Satoshi Kon en conférence

Nouvelles Images du Japon, 3e édition

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Les premiers mots de Satoshi Kon ont été un remerciement pour l’accueil réservé à Tôkyô Godfathers, son troisième long métrage, projeté la veille au Forum des Images. Le réalisateur, accompagné à la traduction par Ilan NGUYEN, s’est déclaré d’autant plus « fier » de cet accueil, digne de celui fait aux productions américaines, que le budget du film représente un centième de celui d’une telle production.

De toute la conférence, KON déviera peu de cette ligne directrice comparative entre l’animation des grands studios américains et celle telle qu’il la conçoit en tant que réalisateur au sein d’un studio japonais . Ses réflexions s’ancrent dans l’observation des modes de fonctionnement du studio Dreamworks, acquéreur des droits de Millenium Actress, qu’il a pu visiter l’an dernier.

De l’inanité des productions américaines

Parti de la propension des Américains à ne pas se restreindre   surtout en matière de nourriture, KON a expliqué avoir noté chez les individus comme dans l’animation une tendance à l’obésité et au « gâchis ». Se défendant d’y apposer un jugement de valeur, il s’est déclaré étonné devant la vastitude des locaux et de l’effectif  une équipe moyenne pour un projet tournant autour de 400 personnes. Peu envieux ou admiratif de ce gigantisme (« sauf peut-être concernant les salaires », a-t-il plaisanté), KON s’est posé la question de la motivation d’un Jeffrey KATZENBERG, parti de chez Disney, de mettre en chantier, dans un autre cadre, des productions tout aussi « orthodoxes ». Il a en effet estimé que, Pixar mis à part, la production animée américaine frappe par ses similitudes et son manque de personnalité. Et de citer de nouveau les réussites de Pixar, dûes selon lui en grande partie à la personnalité de John LASSETER.

KON a proposé, comme explication au manque d’intérêt final des autres créations,l’inflation du budget, qui rend de plus en plus difficile toute prise de risque. Ainsi, la standardisation s’impose pour toucher un public toujours plus large. Il relata qu’un animateur s’était plaint auprès de lui de ne pas pouvoir représenter notamment des explosions, considérées par les adultes comme violentes, donc à proscrire d’une production destinée aux enfants.

« Cette démarche de limitation est pour moi un mépris du public enfantin
», a conclu le réalisateur, avant d’entrer dans les détails d’une explication fonctionnelle et technique sur le manque de personnalité du cinéma d’animation américain.

De l’importance capitale du storyboard

KON s’est particulièrement intéressé à l’élaboration du story-board,« étape la plus importante du film », puisqu’étant son « plan architectural ». Aux Etats-Unis, il résulte d’un travail collectif, chaque membre de l’équipe constituée à cette fin proposant des idées, la meilleure étant adoptée. « Au Japon, cela relève en général du seul réalisateur », a-t-il précisé, reconnaissant les mérites de chaque pratique.

KON a ensuite détaillé son travail sur le story-board de Tôkyô Godfathers et ses… 923 plans. Personnages, décors, costumes étaient déjà, lors de cette étape, fixés. Outre « le gain de temps », cela permet de « situer chaque plan dans une continuité graphique et d’action ».

Une autre différence capitale entre systèmes américain et nippon concerne la répartition des tâches entre animateurs. « Au Japon, nous fonctionnons selon la répartition par scène : un animateur s’occupe de tout ce qui est mobile dans un ensemble de plans, par exemple, du plan 1 au plan 30 ; aux Etats-Unis, un animateur s’occupe d’un personnage donné, durant tout le film ».

De l’importance de l’arrière-plan

KON a ensuite précisé l’attention particulière qu’il porte « aux décors, en cherchant à les rendre porteurs d’une grande charge de réalité. L’arrière-plan est en effet décisif sur l’impact que l’on a de l’image dans son ensemble ». En rencontrant un décorateur français travaillant pour Dreamworks, il s’est étonné de découvrir un dessin très minutieux mais de la taille d’une table (« j’ai d’abord cru qu’il travaillait à la réalisation d’une enseigne ! »), lui qui travaille sur un format quatre fois plus petit !

Loin de la spécialisation des tâches à l’américaine, le réalisateur a mentionné le fait qu’au Japon chacun a à sa charge plusieurs fonctions. « J’ai ainsi pris en charge oeuvre originale, scénario, story-board, mise en scène (en vérifiant les plans un à un), création des personnages, coordination avec le directeur du son, et même vérification de la post-synchronisation… soit l’ensemble des étapes du processus de réalisation ». KON s’est d’ailleurs déclaré satisfait d’avoir pu, grâce aux prises de vue par ordinateur, aboutir au résultat qu’il cherchait. Il a détaillé cette étape importante de l’envoi à la prise de vue informatique des décors et personnages  , sur laquelle il a travaillé, ce sur chaque plan du film.

Deux plans ont été projetés sur écran, KON effectuant la démonstration des retouches effectuées sous Photoshop. L’apport de l’ordinateur est ici de taille pour un réalisateur soucieux de photoréalisme. Il peut retoucher l’image, en assombrissant une silhouette, en appliquant une texture, ou en harmonisant décors (traités au pinceau) et personnages (traités au tracé) par l’ajout d’effets. Cette dernière possibilité est selon KON un enjeu important de l’animation japonaise, car elle réduit la distanciation dûe à l’hétérogénéité entre ces deux formes de dessins qui coexistent plus qu’elles ne s’harmonisent. Après le premier plan d’un intérieur avec deux personnages, KON a montré le travail réalisé sur une scène de rue, en détaillant les effets sur les voitures, ou celui sur la lumière, l’éclairage permettant de « construire une relation entre les décors et les personnages dans une forme commune ».

Quelques questions ont clos la conférence, dont l’inévitable interrogation sur le bien-fondé d’une animation photoréaliste… Pour la énième fois sans doute, Satoshi KON est revenu sur sa conviction que ses trois films n’auraient pu être réalisés en prises de vue réelles, estimant que « le choix du registre formel ne peut être fondé sur les ingrédients que l’on souhaite traiter ». Et de conclure : « L’animation en tant que forme détient son propre sens ».

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